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Mon heure de gloire

En me réveillant hier matin, par une froide matinée de février 2015, j'ai senti d'emblée que cette journée n'était pas comme les autres. Je ne sais pas, un pressentiment.

Après m'être levé, j'avais regardé autour de moi, cherchant quelque chose de différent, de mieux que la veille, peut-être même de mieux que le lendemain. Déception, encore et encore. Tout n'était que déception. Mes pantoufles étaient toujours une demi-taille trop grandes, mon pyjama sentait toujours la même lessive bon marché, mon verre de jus multi-vitaminé avait le même goût, et Mère n'était toujours pas décédée.

Ah, c'est vrai, nous faisons tout juste connaissance. Un peu de contexte s'impose. Mère a 97 ans, c'est une riche héritière d'une marque de prêt-à-décongeler, et vu qu'elle a des pinces à la place des mains, je suis promis à une petite fortune après son trépas. En attendant, elle s'obstine à rester en vie, et ne manque pas une occasion de déjouer mes plans qui visent à l'envoyer dîner chez les vers. Mais bon, elle ne perd rien pour attendre. De toute façon, Père m'a laissé de quoi vivre très convenablement en attendant qu'elle le rejoigne sous les pissenlits, et que toute la fortune familiale me revienne enfin.

De retour à cette froide matinée de février 2015. Je venais de m'asseoir à la table du petit-déjeuner (qui n'est pas la même que celle du déjeuner et du dîner) où m'attendaient mon journal, un café noir ainsi qu'un croissant aux amandes. Jean-Jean, mon domestique, avait prit soin comme tous les jours de se lever aux aurores pour traverser la ville sur son scooter et me ramener cette succulente viennoiserie de chez "Jacqueline & Miguel", mon boulanger préféré.

Ce n'est que lorsque mon regard se posa sur la Une du journal que je compris pourquoi cet étrange pressentiment m'avait obsédé depuis le réveil. Le scandale du "Swiss Leak" venait d'éclater, tous les noms des français qui avaient planqué de l'argent en suisse chez HSBC étaient en première page.

Mon cœur s'était emballé à ce moment-là, je m'en souviens très bien. Vite, vite, la liste, les noms. Je cherchais, je cherchais. Maman n'y était pas, cette vieille peau, cette ringarde, et moi ... J'Y ÉTAIS ! OUI ! Je faisais partie de la liste ! Des dizaines de milliers d'euros en Suisse, à mon nom, MON NOM, et maintenant tout le pays était au courant. Il n'y avait pas de mot pour décrire la joie que je ressentais. La première fois que mon nom apparaissait à la Une d'un journal national ... Père aurait été si fier.

Je serrai le journal dans ma main et traversai le manoir en courant vers la chambre de Mère. Je pris soin d'enjamber son respirateur en entrant dans la pièce. Ce n'était pas en voulant la narguer qu'il fallait commettre un impair et la tuer. Je lui agitai le papier sous le nez, mon doigt vissé à la ligne où était inscrit mon nom. Elle ouvrit les yeux et lut brièvement en diagonale. Elle me regarda ensuite en levant les yeux au ciel, puis secoua la tête avant de se rendormir aussi sec.

Rah, la vieille bique était jalouse, ça crevait les yeux !

Je la comprenais. Pour une fois, c'était MON heure de gloire.

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